Appel à contribution – revue MeM n°2|2024

Mutations en Méditerranée (MeM) est une revue numérique pluridisciplinaire en Sciences humaines et sociales, créée par des doctorantes et des doctorants de l’Institut Sociétés en Mutation en Méditerranée (SoMuM) d’Aix-Marseille Université. Elle offre un espace de publication destiné aux jeunes chercheuses et chercheurs. La revue publie un numéro en ligne par an, en accès ouvert, et accueille des articles en français et en anglais.

« Blé, vigne, olivier : transformations des pratiques et des représentations d’une triade méditerranéenne »

Imaginons Hérodote parcourant aujourd’hui le pourtour de la Méditerranée plus de 2400 ans après ses voyages. Serait-il surpris de voir l’horizon ponctué d’agrumes ? Stupéfait de se voir servir des tomates ? C’est par le biais de ce point de vue multi-séculaire que Lucien Febvre retraçait en 1940 l’évolution de l’agriculture méditerranéenne. Peut-être rêvait-il alors d’une Méditerranée ancienne faite seulement de blé, de vignes et d’oliviers, alors qu’elle était déjà un carrefour de circulations agricoles mondiales. En partageant « les mêmes greniers, les mêmes celliers, les mêmes moulins à huile » (Braudel 1966, p. 229), la Méditerranée a vu l’évolution de cette triade tant agricole qu’alimentaire, la transformation tant des pratiques qui l’entourent que des représentations dont elle fait l’objet. La relation dialectique entre pratiques et représentations de cette triade a évolué sous l’effet des bouleversements climatiques, démographiques, politiques ou encore techniques qui ont marqué et continuent de transformer cet espace. Blé, vigne et olivier sont ainsi pensés comme des points d’entrée dans l’étude des transformations des pratiques et représentations sociales en Méditerranée, et ce, à différentes échelles d’analyses spatiales et temporelles.

Cet appel à contributions cherche à prolonger la réflexion à partir de cette triade méditerranéenne, selon trois dimensions : la terre et le rapport à la terre, d’un point de vue productif, alimentaire et démographique ; l’appropriation et la dépossession des sols ; les pratiques artistiques ainsi que les représentations historiquement documentées et constructions imaginaires. Ces dimensions pourront démontrer tant l’unification que la fragmentation des espaces méditerranéens. Cet appel est ouvert à des propositions de jeunes chercheuses et chercheurs de toutes disciplines ; les contributions pluridisciplinaires seront particulièrement appréciées.

Axe 1. Terre et rapport à la terre : production, alimentation et populations

Entre production alimentaire et industrielle et valorisation touristique, les sillons tracés par les espaces agricoles sont pluriels et s’adaptent au contexte spatio-temporel.

Du champ à l’assiette

Nos terres sont intimement liées à nos tables, tout comme nos assiettes dialoguent avec nos champs. Le géographe Jean Bruhnes considérait d’ailleurs que manger, c’est incorporer un territoire (Fumey 2007). Mais que se passerait-il si, dans plusieurs décennies, nous ne nous nourrissions plus que de produits sortant de laboratoires ? A quoi ressemblerait notre terre si nous adoptions tous le « chewing-gum repas » imaginé par Roald Dahl dans son roman Charlie et la chocolaterie en 1964 ?

Les mutations environnementales qui bousculent nos systèmes agricoles nous invitent à questionner nos modes de consommation (García-Martín et al. 2021). Conceptualisée dans les années 1950 par Ancel Keys et patrimonialisée en 2010 par l’UNESCO, la diète méditerranéenne est le témoin d’une table à laquelle le changement climatique n’était pas invité et pousse à questionner les systèmes en place. Dès lors, comment les systèmes agricoles, aidés par les progrès technologiques, concilient-ils cette conceptualisation figée et identitaire de la diète méditerranéenne avec les bouleversements provoqués par le changement climatique ? Cet héritage agricole, culturel et identitaire est-il maintenu ou, de nouvelles voies sont-elles envisagées quitte à bousculer cette identité alimentaire ? Avec quelles conséquences sur les espaces, les territoires et les paysages ?

Ces mutations s’accompagnent de transformations culturelles et éthiques qui modifient les modes de consommation et, rétroactivement, les systèmes de cultures et l’environnement (Didelon 2009). Que ce soit l’uniformisation des modes de consommation induite par la mondialisation, l’intérêt croissant pour les produits dits « de terroir » (AOP/AOC) ou encore le remplacement des protéines d’origines animales par des protéines végétales, ces mouvements réinventent la composition de nos espaces agricoles (Pitte 2001). Cet axe propose donc d’interroger les expressions et les conséquences territoriales et paysagères de ces mutations.

Renouveaux des territoires et de leurs fonctions

Les enjeux écologiques, économiques et sociaux tels que le déclin de l’agriculture familiale (Bergeret 2016), l’exode de jeunes ruraux (Castagnone et Termine 2018), obligent les espaces agricoles à s’adapter dans leur ensemble voire à se reconvertir. Jeunes ou néo-ruraux travaillent ces terres avec de nouvelles idées pour ces espaces, ce qui ne va pas sans provoquer des conflits avec les générations précédentes. Quelles alternatives proposent-ils pour transformer les espaces agricoles et leurs systèmes agraires ? Quelle participation de la part des locaux et comment ces différentes populations cohabitent-elles ?

La valorisation des bienfaits de la diète méditerranéenne a entraîné une accélération voire une nouvelle production de ses produits dérivés, comme la production de graines de raisin utilisées pour traiter l’hypertension (Boskrou 2012). L’érosion, l’industrialisation et l’accroissement d’usines peuvent grignoter des espaces agraires, comme à Malte, au Portugal ou encore en Italie (Allaya 1978). Dans quelles mesures ces nouveaux usages des terres contribuent-ils à renouveler les territoires et à susciter d’autres alternatives sociales, économiques et environnementales ?

Afin de (re)valoriser et de protéger la diète méditerranéenne, des dispositifs de « patrimonialisation » sont mis en place pour garantir la qualité des produits, le savoir-faire ou l’espace d’exploitation (Linck et Romagny 2011). La mise en tourisme de ces territoires (Gay 2011) est opérée à travers la valorisation des produits du terroir et des nouvelles formes de mobilités touristiques, comme cela est le cas au cap Bon, en Tunisie, avec l’établissement de routes oenotouristiques (Souissi 2023). Comment ces mises en valeur et tentatives de préservation contribuent-elles à (re)modeler les paysages agricoles ?

Axe 2. Appropriations et dépossessions des sols

Cultiver le blé, la vigne ou l’olivier, c’est investir la terre d’un usage agricole qui dépend du régime de propriété attribué aux sols. Que le sol dépende d’un système foncier étatique ou d’appropriations sociales spécifiques, la définition de son usage et de ses usagers a pour réciproque la dépossession d’autres groupes ayant d’autres pratiques.

En sanctuarisant l’usage productif d’une parcelle, une autorité publique ou privée peut ainsi mettre fin à d’autres régimes d’appropriation (Le Roy 2011). La mise en place d’un régime foncier en Méditerranée a constitué l’un des enjeux politiques majeurs de la colonisation. Albert Sarrault proposait en 1923 un plan de « mise en valeur des colonies françaises », proclamant l’incapacité des populations colonisées à exploiter utilement leurs terres (Costantini 2008). La terre était alors évaluée au prisme de son utilité économique : le « Maroc utile » des plaines était opposé par Lyautey au « Maroc inutile des tribus et des montagnes » (cité par Valette et al. 2017, p. 417). La colonisation a ainsi transformé les régimes de propriété de la terre en implantant de nouvelles cultures, comme la vigne dans la basse Seybouse en Algérie (Tatar 2013) ou en intensifiant d’anciennes, comme le blé au Maroc. Aujourd’hui, la planification foncière, héritière ou non de pratiques coloniales, et son pendant juridique continuent d’interroger les modalités de mise en œuvre de l’action publique (Requier-Desjardins et al. 2019) et les reconfigurations d’acteurs, pratiques et discours qu’elle produit.

L’efficacité de la régulation de l’accès aux terres agricoles fait débat. De fortes tensions existent entre appropriations locales, étatiques ou inter-étatiques, ou entre anciens et nouveaux modes d’accès : la terre est donc une ressource (géo)politique (Blanc 2019). La forte compétition dans l’accès au foncier méditerranéen donne lieu à une fragmentation et à une fermeture des terres agricoles : en faveur de résidences touristiques comme à Majorque (Salom 2013) ou de nouveaux espaces périurbains dont les petits exploitants sont dépossédés (Minvielle et al. 2013). Le foncier est un sujet de conflit, concernant, par exemple, l’accès aux terres domaniales en Tunisie (Gana et Taleb 2019), la gestion des pâturages en Grèce (Koutsou et al. 2019) ou encore la distribution de l’eau en Espagne (Salinas Palacios 2019). Les enjeux fonciers interrogent donc le rapport entre propriété et usages (Gueringuer et al. 2017), lesquels évoluent sous l’effet des transformations techniques, économiques, sociales et environnementales. Ainsi les agriculteurs de la plaine de la Beqaa au Liban délaissent le blé au profit des arbres fruitiers, plus rentables mais nécessitant davantage d’eau (Trottier et Antonius 2020) ; les agriculteurs du Zâb oriental (Algérie) préfèrent, quant à eux, profiter des progrès de l’irrigation pour créer de nouvelles oliveraies (Tatar 2013).

Cet axe invite à interroger les interactions entre politiques foncières, territoires et populations ; et aussi de quelles manières la transformation de la propriété fait évoluer les perceptions, les usages et types d’exploitation de l’espace.

Axe 3. Pratiques, représentations sociales et artistiques

Le blé, la vigne et l’olivier ont été au cœur d’une appropriation politique et épistémologique ancienne visant à retracer les fondements d’une supposée identité méditerranéenne à l’image de l’essentialisation physique et raciale d’un Homo Mediterraneus imaginé par l’anthropologie physique à la fin du XIXe siècle (AS n°1 1896). Dans un mouvement rétrospectif d’invention de la tradition (Hobsbawm 1983), la Méditerranée a été imaginée en « civilisation du blé » (Braudel 1979), « de l’olivier » (Verdié 1990) ou encore « de l’olivier et des céréales » (Chazan-Gillig 1993), comme en témoignent les nombreuses représentations allégoriques empruntant aux symboles de la terre nourricière et féconde tels que la couronne de blé. L’importance culturelle de la triade en Méditerranée est aussi spécifiquement cultuelle. L’olivier a été un repère mythique (Amouretti et Comet 1992), les céréales, le vin et l’huile des supports essentiels des polythéismes puis des monothéismes méditerranéens (Brun 2003) comme en témoignent les coupes attiques « figures rouges » plaçant la vigne au centre de la représentation du culte dyonisiaque (Colonna 2011) ou les cultes voués à la déesse Cérès. Ainsi, si l’on accepte que l’art porte un regard sur le monde, l’évolution des représentations sociales transparaît à travers l’histoire de l’art qui permet de comprendre les mutations et transferts culturels dans le bassin Méditerranéen. Aussi, l’évolution des techniques du travail de la terre est-elle célébrée dans les peintures réalistes occidentales au XIXe siècle.

Dans un autre registre, l’orientalisme pictural et littéraire construit et entretient le mythe de l’exotisme à travers des représentations pittoresques d’un ailleurs souvent fantasmé (Corredor 1992). Il s’agira alors d’interroger cette « méditerranéité » imaginée et de la mettre en rapport avec les processus d’identification (Sayad 1993) des habitants de la Méditerranée (Veauvy 2000). Jean Giono refusait par exemple « […] de voir son œuvre annexée au domaine culturel et littéraire provençal » (Mény 2018 : 16).

Par ailleurs, la création artistique contemporaine permet d’éprouver les crises et changements profonds que traversent nos sociétés. L’exposition temporaire « Quand les artistes passent à table. Leurs regards sur l’alimentation » (Ministère de la Culture  2017-2020) témoigne notamment de l’appropriation par les artistes des pratiques alimentaires en lien avec leurs réseaux de production et de distribution. Ainsi, quelles idées de la « culture méditerranéenne » l’art transmet-il ? Comment l’hybridation arts-sciences (design, recherche-création…) participe-t-elle à la construction des imaginaires autour des questions de transformations sociales, territoriales, culturelles sur le pourtour  méditerranéen ? Cet axe invite à des réflexions sur l’évolution représentationnelle des cultures méditerranéennes à travers les pratiques artistiques.

Conclusion

Cet appel à contribution est pluridisciplinaire. Les axes sont des pistes de réflexion qui ne sont pas fermées, pourvu que les propositions restent dans la thématique du numéro. Les cadrages épistémologiques et les méthodologies de recherche peuvent être divers et variés, faire appel à des médiums artistiques numériques ou numérisés (photographie, images, vidéos, bandes son…) à condition d’être au service de l’observation scientifique.

Conditions de soumission

Les propositions de contributions doivent contenir entre 2500 et 5000 signes (espaces compris, hors bibliographie). Elles doivent contenir un titre, des mots-clés et la bibliographie utilisée. Elles sont acceptées en français ou en anglais. Consulter les normes éditoriales.

Les propositions doivent être envoyées sous format Word (.docx) à l’adresse institut-somum-redaction-mem[at]univ-amu.fr.

Merci de confirmer dans l’email votre statut et votre affiliation.

Calendrier prévisionnel :

Calendrier prévisionnel :
Date limite de retour des propositions d’articles : lundi 8 janvier 2024, 17h
Résultat de la procédure de sélection des propositions : mi-janvier 2024
Date limite de réception des articles (V1) : 3 avril 2024
Retour des évaluations aux auteurs (V1) : mi-mai 2024
Parution en ligne du second numéro : novembre 2024

Comité de rédaction Numéro 2 | 2024

Andrea Gallinal Arias, doctorante en science politique, Aix-Marseille Université, CNRS, MESOPOLHIS, ED 67
Léna Haziza, doctorante en sociologie, Aix-Marseille Université, CNRS, MESOPOLHIS, ED 355
Marcos Marinho Fernandes, doctorant en histoire, Aix-Marseille Université, CNRS, TELEMMe, ED 355
Mélissa Mathieu, doctorante en musicologie, Aix-Marseille Université, CNRS, PRISM, ED 354
Luca Nelson-Gabin, doctorant en histoire, Aix-Marseille Université, CNRS, IREMAM, ED 355
Julien Panaget, doctorant en géographie, Aix-Marseille Université, CNRS, TELEMMe, ED 355

Bibliographie

Allaya Mahmoud, 1978, « Les grandes productions méditerranéennes, introduction statistique », Économie rurale, n° 123, p. 41-45.

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Amouretti Marie-Claire et Comet Georges, 1992, Le livre de l’olivier, Edisud.

Bergeret Pascal, Ourabah Haddad Nora, Hassan Sara et Maria Pierri Francesco, 2016, « Chapitre 16 – L’agriculture familiale pour valoriser les savoirs et les ressources humaines », dans CIHEAM, FAO (Dir.), Mediterra 2016 : Zéro gaspillage en Méditerranée. Ressources naturelles, alimentation et connaissances, Presses de Science Po, p. 373-384.

Blanc Pierre, 2019, « La terre, une ressource politique », Esprit, p. 115-125.

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