Adapter la politique de licences Creative Commons d’OpenEdition à ses publications : mode d’emploi

qthomasbower, Flickr CC-BY-SA

OpenEdition a annoncé le déploiement par étapes de sa politique de licences Creative Commons (CC), lequel s’échelonnera sur ces 4 plateformes de publication scientifique courant 2023.

Comment choisir une licence CC en tant qu’auteur ou éditeur sur ces plateformes ? Quelles recommandations suivre ? Et comment adapter l’usage des licences à des contenus pluriels au sein d’une même publication (textes, images, cartes, vidéos, etc.) ?

Ce billet restitue des échanges autour des questions que soulève l’appropriation des licences creative commons par les auteurs et les éditeurs qui publient sur ces plateformes. Il décrit les grandes lignes de cette politique de diffusion explicitées par Marie Pellen, directrice d’OpenEdition, lors du séminaire OPEN-SHS, et contextualise certains enjeux juridiques relatifs à l’édition scientifique en SHS abordés lors d’une rencontre du pôle édition avec Isabelle Gras. Bien que les licences creative commons ont été déjà largement expérimentées depuis une vingtaine d’années, leur application généralisée sous l’impulsion des politiques internationales pour promouvoir la science ouverte est en pleine phase d’expansion. A défaut d’avoir du recul sur tous les cas de mise en pratique et leurs retombées à grande échelle sur la publication scientifique, tentons dans un premier temps d’en comprendre les mécanismes de fonctionnement.

Les Creative Commons – un outil pour faciliter la circulation et la réutilisation des savoirs

Une licence CC est un contrat par lequel l’auteur d’une œuvre de l’esprit – intellectuelle ou artistique -, autorise, par avance, les utilisateurs à exploiter, diffuser, commercialiser ou à modifier son œuvre sous certaines conditions.

Il existe 4 conditions :

BY (attribution/paternité) – NC (pas d’utilisation commerciale) – ND (pas de modification) – SA (partage dans les mêmes conditions).

La combinaison de ces 4 logos permet de choisir entre 6 licences qui donnent la possibilité de contourner les règles privatives du droit d’auteur. Selon le principe « certains droits réservés », ces licences, plus ou moins ouvertes, précisent les droits d’usage d’une œuvre, à titre gratuit et sans demander l’autorisation à l’auteur. Ces six types de contrat fonctionnent dans le monde entier. Pour autant, dans la continuité du droit français, ils s’appliquent uniquement aux droits patrimoniaux cessibles à des tiers (droits de représentation et de reproduction) et non aux droits moraux qui sont inaliénables (droits de divulgation, retrait, paternité, droit à l’intégrité et au respect de l’œuvre).

A. Diez Herrero, FlickrCC-BY-NC-SA

Dans le contexte de l’édition scientifique, ce consentement donné en amont fixe un cadre juridique général, valable pour tous, qui a pour principale vocation de préciser les conditions de réutilisation des savoirs. Ce principe de réutilisation est esquissé dans la déclaration de l’Initiative de Budapest pour l’accès ouvert de 2002, puis précisé dans un nouveau texte publié en 2012. Dans la continuité de ces initiatives, certains choisissent la licence la plus ouverte, CC-BY, pour assurer une diffusion maximale de l’œuvre et en permettre toutes les formes d’exploitation. La seule condition est de citer le nom de l’auteur, la source et d’indiquer si une modification a été faite (avec un lien vers l’œuvre originale). Si cette transformation porte atteinte à l’esprit de son œuvre, l’auteur peut toutefois demander son retrait en vertu de ses droits moraux. D’autres choisissent la licence CC-BY-SA, qui équivaut à la CC-BY, mais ajoute l’obligation de partager l’œuvre avec la même licence. La version dérivée hérite des mêmes libertés que l’œuvre initiale de façon à pouvoir également la copier, l’adapter, la diffuser, ou l’exploiter, y compris à des fins commerciales. Privilégiée par les grands acteurs du libre, dont Wikipedia, elle engage, par cet effet de rebond, à élargir le domaine des biens communs de la connaissance tout en modérant les risques d’enclosure. La licence CC-BY-NC autorise toutes formes de diffusion et de réutilisation d’une œuvre, mais à des fins non commerciales. La licence CC-BY-ND autorise la circulation (copie, diffusion), mais interdit les modifications : l’œuvre originale circule dans sa version intégrale et ne peut être traduite (texte) ou adaptée dans un autre format (photo). La combinaison des licences CC permet, par toute cette gamme de nuances, de libérer certains usages de l’œuvre tout en maintenant des interdits. De sorte que tout ce qui n’est pas interdit est donc permis.

Des licences non révocables

Au-delà de ces différents régimes d’usages collectifs, libre à l’auteur ou l’éditeur d’octroyer, a posteriori, des droits plus étendus, au cas par cas, si un utilisateur lui en fait la demande et explicite les usages qu’il souhaite faire de l’œuvre originale ou dérivée. En revanche, les régimes de licences creative commons appliqués à l’ensemble d’une œuvre telle qu’une publication – article, livre ou numéro de revue – ne sont pas révocables. Ce qui n’interdit pas aux ayants droit d’arrêter de distribuer leurs œuvres à tout moment. Seulement, les précédents bénéficiaires de la licence pourront réclamer des indemnités si cette rétractation leur porte préjudice. De même, si un auteur souhaite changer de licence, il sera stratégiquement plus facile d’améliorer un régime de licence (ouvrir plus) que de revenir en arrière (refermer). En effet, la loi n’étant pas rétroactive, cette évolution ne prendra effet qu’à la date du changement et ne s’appliquera pas aux bénéficiaires qui auraient utilisé l’œuvre sous un précédent régime de licence. Il est donc particulièrement important de déterminer en amont du tout projet de diffusion éditorial jusqu’à quel point l’auteur ou l’éditeur libère les possibilités de réutilisation d’une publication sans en être averti.

Licences « version auteur » et licences « version éditeur« 

La cOAlition S recommande la licence CC-BY par défaut pour toutes les publications savantes évaluées par des pairs (ou accepte CC-BY SA, CC0 « domaine public » et, sur demande justifiée, la licence CC-BY-ND). Par ailleurs, suivant la stratégie de non-cession des droits d’auteur à titre exclusif préconisée par le CNRS et adoptée par Aix-Marseille Université, les chercheurs sont encouragés à soumettre leurs travaux sous licence CC-BY aux éditeurs jusqu’au « manuscrit auteur accepté » (MAA ou postprint). Il s’agit de la version finale du manuscrit acceptée pour publication par un comité de lecture scientifique au terme du processus d’évaluation par les pairs (peer-reviewing) et des remaniements consécutifs intégrés au manuscrit par l’auteur. Ce faisant, l’auteur conserve ses droits sur toutes les mises à jour du manuscrit jusqu’au MAA inclus. Ces différentes versions auteur pourront être diffusées dans une archive ouverte type HAL, dès la parution du manuscrit dans sa version remaniée (ou postprint) ou sous la forme de prépublications pour ses versions antérieures (dites preprint). L’auteur pourra appliquer à ces différentes versions des licences CC distinctes pouvant aller jusqu’au CC-BY. Le dépôt du MAA dans HAL est dans ce contexte recommandé dès la parution des articles publiés dans des revues scientifiques. Cette recommandation vaut également pour les ouvrages de recherche ayant bénéficié d’un financement dédié à l’accès ouvert, quoique pour ces derniers, un délai d’ouverture n’excédant pas 12 mois après la publication puisse être appliqué.

Au-delà de la version finale acceptée pour publication, l’auteur peut signer un contrat de cession des droits d’auteur avec un éditeur qui apporte des améliorations éditoriales au MAA (mise en page/mise en ligne sur un site de publication) et sera susceptible de l’exploiter commercialement à titre exclusif. La version finale publiée (version of record, VoR, version éditeur, ou PDF éditeur) correspond à la version maquettée selon la charte éditoriale de l’éditeur avec la numérotation des pages ou des paragraphes. Ce « PDF éditeur » ne peut pas être déposé en accès ouvert par le chercheur dans HAL sans l’accord de l’éditeur. C’est à l’auteur qu’il revient de négocier avec l’éditeur les modalités de dépôt de la version la plus finalisée de son manuscrit dans une archive ouverte sous une licence compatible avec les termes du contrat. 

Les régimes de licences CC peuvent donc être différents entre les versions « auteur » et la version « éditeur » destinée à la publication numérique et/ou papier. Il en va de même pour les versions dérivées de l’œuvre ou les jeux de données liés aux publications.

Recommandations d’OpenEdition

  • Des licences CC 4.0 par défaut pour chacune des 4 plateformes de diffusion scientifique : actualités, carnets de recherche, livres et revues. Le recours aux licences 4.0 est important car cette version est la plus applicable à l’échelle internationale.
  • Une licence unique pour les métadonnées : toutes les métadonnées liées aux contenus d’une des quatre plateformes sont placées sous mention mention CC0 ou « domaine public ». OpenEdition opère une distinction entre l’œuvre (sous forme de publication) et les informations sur l’œuvre (métadonnées) dont le statut juridique est différent.
  • Une licence à définir pour chaque site.

Les contenus publiés héritent par défaut du régime de licence proposé au niveau supérieur : plateforme, collection, revue, titre ou numéro.

OpenEdition propose des recommandations (licences par défaut) mais n’impose rien. Les éditeurs de la plateforme peuvent choisir la licence qui leur paraît la plus adaptée à leur politique de diffusion et modèle économique. Les éditeurs sont à leur tour à même de proposer/imposer aux auteurs la licence CC par défaut de leur choix qu’ils appliquent à l’échelle d’une revue, d’une collection de livre ou d’un blog.

Associer différentes licences CC dans un même document

Les publications scientifiques emboîtent des contenus articulant souvent des textes et des illustrations qui dépendent de régimes de droit différents et dont la publication n’appartient pas qu’à la décision d’un seul auteur ou éditeur. Des questions déontologiques sur la sensibilité des contenus et le consentement des personnes ou des collectifs tiers concernés sont également à prendre en compte dans toute diffusion large des savoirs, concernant leurs conditions de partage comme de réutilisation. OpenEdition autorise pour cela des exceptions ou options qui permettent de choisir parmi l’éventail des licences CC afin de moduler les conditions de diffusion et de réutilisation des divers types de contenus (textes, photos, cartes, tableaux, etc.) à l’échelle de chaque unité documentaire : un volume, un numéro de revue, un chapitre, un article, un billet de blog, une annonce.

Il est ainsi possible de compiler des licences plus ou moins ouvertes au sein d’un même document. Un article de revue ou un chapitre de livre sous licence CC-BY pourra contenir des analyses textuelles, des photos, des cartes ou des données d’enquête élaborées par l’auteur ou l’autrice et dont le partage ne porte juridiquement ou déontologiquement pas atteinte à des personnes ou à des collectifs tiers. En faisant par exemple le choix de publier des photos ou des cartes sous licences CC-BY ou CC-BY-SA, d’autres chercheurs pourront les réutiliser, voire les enrichir, comme traduire, adapter ou compléter une carte.

Dans un même article, ces illustrations dont les droits d’usage sont libérés au préalable par le chercheur pourront figurer aux côtés d’images protégées par le droit d’auteur. Elles devront dans tous les cas préciser le nom de l’auteur ou de l’autrice avec la licence CC adaptée ou avec la mention « tous droits réservés » si l’illustration est protégée par le droit d’auteur. Avant de publier des illustrations protégées par le droit d’auteur ou dont les usages sont limités par la licence CC, le chercheur ou la chercheure devra faire les démarches pour obtenir l’autorisation de les reproduire/modifier auprès de l’auteur ou du titulaire des droits – musée, éditeur, centre d’archives, collectif social, enquêtés, etc.-, en conserver la trace écrite et, à sa demande, la transmettre à l’éditeur.

Pour plus d’informations :

Webcast : Une politique de licences pour les plateformes et leurs contenus (Rencontres d’OpenEdition 2021) : https://webcast.in2p3.fr/video/une-politique-de-licences-pour-les-plateformes-et-leurs-contenus-1

Webcast : Des publications et licences ouvertes (Rencontres d’OpenEdition 2023) : https://webcast.in2p3.fr/video/des-publications-et-licences-ouvertes

Webcast : Du bon usage des licences dans le cadre du dépôt des publications dans HAL (cas de figures commentés par Lionel Maurel, 2023) : https://www.canal-u.tv/chaines/ccsd/parlons-science-ouverte-7-du-bon-usage-des-licences-dans-le-cadre-du-depot-dans-hal

Licences libres. OpenEdition franchit une étape pour l’accès ouvert, 2022 : https://www.inshs.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/licences-libres-openedition-franchit-une-etape-pour-lacces-ouvert?utm_source=Sarbacane&utm_medium=email&utm_campaign=D%C3%A9ploiement%20politique%20licence%20OEJ

Connaître et utiliser les licences Creative Commons : https://coop-ist.cirad.fr/etre-auteur/utiliser-les-licences-creative-commons/3-les-licences-creative-commons-cc-generalites

Isabelle Gras. Contrat d’édition et licences Creative Commons. 2022. ⟨hal-03723033⟩

Partager cet article:

Vous aimerez aussi...